You seam nice but.. are you ?

La nuit. La nuit est tombée depuis un moment, depuis trop longtemps. Dans le ciel, parfois, apparaissent des étoiles. Étoiles. Bien pire pourrait se produire, mais pourtant, il y a de quoi avoir peur. Non, pas avoir peur, mais bien des réactions à craindre. Empêcher ces réactions est aussi impossible que de fuir la nuit éternelle. Depuis un moment, il faut s'enfermer. Du moins, pour les gens comme toi. On te retrouve cachée un peu partout, enfermée chez toi surtout. En général, cet endroit te semble normal, et tu t'y retrouve rarement. Cette fois, on te retrouve là, assise et patiente. Les yeux rivés sur le blanc grisâtre de la rivière, tu sembles absente, comme la majorité du temps. En cet endroit glauque, tu retrouves une certaine paix qui, dans tout ce chaos, te fais un certain bien. Aujourd'hui, ce n'est pas le cas comme ça l'est en général. Présentement, tu as peur. Tu essaies de retrouver cette ataraxie qui normalement t'englobe, en vain.
Ton regard vide ose à peine se lever, de peur de croiser la lueur des étoiles. Les astres sont-ils visibles à ce jour ? Aucune idée, tu ne veux même pas le savoir. Lever les yeux serait prendre un trop grand risque. Extérieurement, tout semble normal. De manière superficielle, tu n'as pas l'impression d'avoir peur. Tu ne sais plus ce que c'est que d'avoir peur. Tu regarderais bien au ciel si tu en avais envie. Regarder trop longtemps les eaux de cette rivière peu rendre fou - encore plus que tu ne l'es déjà - donc détourner ton regard serait approprié. Cependant, ton subconscient, celui que tu n'arrives pas à contrôler, sait. Il sait que tes prunelles ne doivent pas voir ces choses. Tout comme il sait que ta main ne doit pas se poser sur ton arme. Ce poids au fond de ta poche, tu sais comment t'en servir. Tu t'en servirais instinctivement si tu en avais besoin. Mais tu ne le fais pas. Tout au fond, tu sais que tu dois l'éviter. Un éventail métallique, tranchant, trop ressemblant à un couteau. Quelle idée aussi d'avoir une telle arme sur soi... Peu importe, ta tête n'y est pas. Concentrée sur l'âcre odeur qui règne en cette Vallée, tu ne fais qu'apprécier la douce brise qui caresse ta peau et qui fait virevolter tes longs cheveux blonds. Ton cœur bats à un rythme lent et régulier. Lentement, ce que tu cherchais en venant ici semble vouloir se faire sentir. Une béatitude envahissante, agréable. Inapproprié en ce monde disent-ils dans ton dos, mais les autres, ceux qui te jugent, n'y connaissent rien. Il n'y ont jamais rien compris, et cela ne t'importe peu.

Si devant toi, à travers les vagues de cette rivière de larmes, tout est sobre, inexistant, toi, tu y vois beaucoup. Tu peux y revoir ton passé, là où tu étais avant de mourir. Tu revois ta famille, tes amies, tes rêves. Tu peux y imaginer aussi la vie des autres habitants du pays des merveilles. Seulement, tu préfères en rester avec la réalité. La tienne étant plus ouverte, différente de celle de tous, ta réalité te permet donc de rêver et d'être fascinée par tout et par rien, même par ce que l'on ne voit pas. Tes pensées divaguent, tu commences à te sentir, finalement, bien. Tu oublies quelques instants la menace du ciel étoilé pour te laisser voguer intérieurement. Personne ne sait ce qui peut se passer dans ton esprit, pas même toi. Beaucoup trop de confusion, beaucoup trop d'éléments hypothétiques. Tes yeux grand ouverts ne voient plus le paysage sombre, alors qu'ils l'admirent passionnément. Tes oreilles font les sourdes, alors que tu écoutes les bruits environnants. Rien ne te dérange mais tout te perturbe. C'est étrange. La sérénité t'envahit, puis plus rien. Une sensation désagréable traverse ton corps, ton regard se détache de l'eau. Tu frissonnes, la peur t'envahis de nouveau. Quelque chose est venu perturber le cours de tes pensées. Les pupilles dilatées, tu restes immobile et tends l'oreille. Quelqu'un est là. Il s'approche. Un léger soupir s'échappe d'entre tes lèvres entre-ouvertes, ton corps se décrispe, puis tu commences à balayer doucement le sol rugueux du revers de la main. Tes yeux se ferment, puisque tu es rassurée. Maintenant, ne reste plus qu'à retrouver ta sérénité...

Je marche. Je marche, comme si le désespoir m’envahissait. Comme si les astres riaient de moi. Comme si la lune me guidait vers l’échafaud.

Je traîne mes pieds derrière moi. Entre deux crissements de feuille, un soupir. J’avance les mains dans les poches, le regard baissé, ne faisant rien d’autre que l’acte mécanique de poser un pied devant l’autre à répétition. Un pas, deux pas, trois pas. J’ai l’air d’un condamné à mort qui s’apprête à aller se faire abattre. Tranquillement. Indifféremment. Comme si de toute façon, le ciel allait s’effondrer sur nos têtes.

Mais ne vous inquiétez pas, ce n’est pas tout à fait ça. Je ne compte ni sauter en bas d’un pont, ni me noyer dans la rivière que je suis en train de longer. Peut-être ai-je l’air aussi déprimé que je vous le décris. À vrai dire, je ne le suis pas. Du tout.

Je ne suis que pensif. Oui, ça m’arrive parfois, d’être calme et pensif. Que croyiez-vous – que je n’étais qu’une créature sans émotions, une machine à préparer du steak ? Ah, ah. Laissez-moi rire. Non, je ne suis pas un instrument de cuisine que l’on retrouve dans vos armoires. Vous n’êtes pas en train d’observer une lame ambulante errant en quête de viande à hacher. Ici, vous êtes dans la tête de Viktor Schwarzengel, vous voyagez à travers les dédales de sa cervelle et nagez en plein cœur de son âme. Bienvenue dans les méandres de mon esprit, vous dis-je ! Bonne visite et j’espère que vous n’y serez pas trop perdus. Vous verrez bien que chez moi, il n’y a pas de droit chemin.

Je marche et je ne suis que pensif, donc. Je pense à quoi ? Tout - des flots d’idées nébuleuses vont et viennent sous mon coco. Et rien – surtout rien, parce qu’en pensant à trop de choses je cesse d’analyser l’activité douteuse de mon cerveau. Les seuls raisonnements concis que je finis par être capable de prononcer intérieurement sont ceux en lien avec l’ici et maintenant (le présent, quoi). Du genre : « Tiens, y’a pas mon reflet dans l’eau de cette rivère… Aurais-je un pouvoir d’invisibilité qui vient de se déclencher ?! LA VACHE, c’est trop génial ! … Ah non, c’est impossible, je suis mort, je suis un fantôme… Ça doit être pour ça que l’eau ne me voit pas. Pfeuh. » Soupir et déception. C’est pour ça que j’ai l’air démoralisé quand je suis dans mon état songeur. Je me rends compte à quel point toutes les sortes d’existences, pré ou post mortem, sont porteuses de frustrantes illusions. Au moins, rien ne peut être pire que ma première vie. Heureusement que je l’ai laissée derrière moi. Wonderland est un paradis comparé au monde sordide d’où je viens !

Je pourrais continuer comme ça pour le reste de la nuit, marchant et pensant dans le vide total. Wonderland, c’est chouette, mais des fois on se demande quel but pourrait-on poursuivre dans cet univers où les besoins du corps sont inexistants et où on est censés exister éternellement (je crois). Il m’arrive de ressentir la solitude, aussi. Ça, ce n’est pas trop un problème, parce que j’y étais habitué, avant, dans cette vie où on me reluquait avec la plus grande horreur, comme si c’était la reine d’Angleterre que j’avais dépecée, alors que ma victime n'était qu'un chat de gouttière sale, maigre et laid. Il y a toutefois une petite différence entre cette solitude-là et celle que je ressens ici. Ici, c’est plutôt parce que je me demande si tous les morts finissent par fêter leurs retrouvailles dans ce pays, parce que jusqu’à présent, je n’en ai pas croisé beaucoup. Les humains, malgré tous leurs grands défauts, sont des êtres intéressants, voyez ? Il y a des fois où un peu de compagnie ne me ferait pas de mal… et je ne ferai pas de mal à la compagnie non plus. Promis juré.

Oh, et puis, en parlant de ça… Que vois-je là-bas ? Il fait noir, je distingue mal les formes… laissez-moi m’approcher davantage et plisser les yeux un peu. Ah! Voilà qui est mieux ! Serait-ce une jeune fille seule assise sur le bord de la rivière ? On dirait que mon souhait du moment s’est exaucé. Merci (insérez ici le nom de la chose responsable du bonheur des gentils monstres comme moi, que je la vénère) ! Je presse le pas en direction de la demoiselle. En cette nuit d’ennui, j’ai carrément envie d’aller faire sa connaissance. J’ignore si c’est l’effet de la distance, mais son corps semble si frêle, elle a l’air d’un être fragile qui ne devrait pas être laissé sans surveillance. Bien sûr, malgré ma soudaine hâte, je tente de me faire le plus discret possible. Je ne voudrais pas qu’elle croit avoir affaire à une bête comme le bandersnatch en entendant les différents sons que je pourrais provoquer. Je ne voudrais pas non plus avoir à lui courir après si elle venait à s’enfuir avant même que j’arrive…

Quand je me retrouve enfin à ses côtés, il reste quand même deux ou trois mètres entre nous. Je m’accroupis à son niveau et je regarde droit devant. Mais je ne trouve rien de pertinent à observer, même pour faire semblant, alors je tourne la tête vers elle et attend qu’elle me remarque, tout simplement.