Silver Jonhatan Holmes

« There's a storm on the streets, but you still don't run
Watching and waiting for the rain to come. »

RACONTEZ NOUS VOTRE MORT :
Il volait le coeur des femmes avant de voler leurs bijoux, leurs précieux bibelots et leurs tentures hors de prix. D'un sourire et d'un regard, il brisait la glace et se faisait introduire dans les plus belles maisons de Londres. Et pour lui, gamin des rues mal famées de la capitale d'Angleterre, c'était toujours un moment de pure jouissance. Amant passionné, il savait se faire aimer de toutes, femmes mariées, gouvernantes et bonnes de chambre, filles de nobles et soeur de magistrat ... C'est comme ça qu'il volait. Il faisait l'amour et repartait avec son prix, sa récompense.
Jusqu'au jour banal et pourtant fatal, une maison de trop, une femme de trop, un voleur attentionné qui avait remarqué son petit manège ... Il avait fallut d'un coup de poignard bien placé pour ôter toute vie à ce regard bleu malice, à ce sourire juvénile et à ce visage d'éternel adolescent. L'arroseur arrosé, le voleur volé. Tué pour trois malheureux colliers, dans une ruelle désaffectée d'un Londres encore tout endormi.

QUE PENSEZ-VOUS DU PAYS DES MERVEILLES ACTUEL ? :
Après la mort, voyage plein de brume pour arriver dans un lieu inconnu. Un premier goût de paradis avec des relents d'enfer, bile acide et amère au fur et à mesure que le temps, immobile et glacé, s'étire pourtant lentement. Après de longs moments d'errance douteuse, d'introspection folle et passionnée, Silver avait apprit à aimer et à vivre dans cet univers aux couleurs délavées, aux créatures souvent hostiles. Et aujourd'hui, il regardait cet imaginaire, autrefois brillant et fertile, devenir aussi putride qu'un cadavre de plusieurs jours avec une inquiétude réelle. Voir mourir son terrain de jeu, avec cette lenteur intolérable des lieux qui ne connaissent pas le passage du temps, lui faisait peur.

QUEL EST VOTRE ENDROIT PRÉFÉRÉ DANS CE PAYS ? :
Ayant vécu de manière hasardeuse, toujours sur le fil du rasoir, entre deux maisons à cambrioler, deux femmes à séduire et des hommes à esquiver, Silver avait toujours eu un goût très prononcé pour le danger, le risque.
Par conséquent, l'endroit qu'il préfère dans ce monde fou et incohérent est le bois de Tulgey. Il en découvre tous les jours les secrets, se déplaçant dedans comme s'il y était né et ce malgré les surprises parfois très désagréables dont regorge cette forêt.

HORS-JEU

PSEUDO: Gane. AGE: 20 lunes COMMENT TROUVES-TU LE FORUM ? Orignal, bien pensé, tentant ... De bon goût et tordu. COMMENT L'AS-TU DÉCOUVERT ? Grâce à Velvet. ACTIVITE: Lunatique. CODE DU REGLEMENT: Alice's madness UN MOT POUR LA FIN ? Cuillère ?

Once upon a time ...

Londres. XVIIIe siècle. Début du mois d’aout.

La puanteur des docks était insupportable. La chaleur étouffante de cet été caniculaire charriait des relents putrides de poiscaille pas fraiche, de légumes avariés, de sueur et d’urine, mélange dégoûtant et on ne peut plus repoussant. Attablée à une vieille planche en bois posée sur des tréteaux, usée, bancale et poisseuse, une jeune fille enceinte jusqu’aux yeux, vêtue d’une grossière robe en laine, vidait les poissons qu’un homme à la mine patibulaire lui apportait par brouettes entières.

Le père et la fille. L’air de famille était flagrant. Elle n’était guère plus qu’une adolescente dans la fleur de l’âge, mais ses mains pleines de chair animale, son regard aussi vide que les cadavres à nageoire qui s’entassaient à ses côtés, son visage lisse et sans charme la rendait insignifiante. Elle n’était pas jolie, elle n’avait rien pour elle. Et son père encore moins. Petit homme trapu et moustachu, aux yeux porcins enfoncés dans des orbites cernées par les coups, le manque de sommeil et les ravages de l’alcool, il faisait peur en plus d’être pathétique. Le père et la fille travaillant de concert pour préparer les marchandises à envoyer au marcher.

Mais soudain, la fille lâcha son couteau en poussant un cri de souffrance. Portant une main pleine de jus de poisson, sale et puante, à son ventre, elle lâcha une nouvelle manifestation de douleur. Elle fit un effort pour se lever et s’éloigner un peu de la table, titubante et trébuchante, dépassée par le poids conséquent de son corps déformé. Des larmes lui montèrent aux yeux alors qu’à ses pieds, une flaque d’eau se formait. Alors qu’elle poussait un nouveau hurlement, plus déchirant encore que les premiers, son père arriva sans se presser et s’arrêta devant elle avant de lui coller une gifle retentissante, qui manqua d’envoyer la jeune femme à terre. Choquée, ayant reculé de trois pas pour accuser l’impact, l’adolescente cessa de pleurer.

- Tu nous as collé ce bâtard sur le dos, tu ne vas pas en plus manquer le boulot. Dépêches toi, ces poissons doivent être prêt pour le marcher.

La voix grave et cruelle du petit homme moustachu eu pour effet de détourner les regards des quelques rares ouvriers du dock, commerçants ou autres livreurs habitués des lieux. Chacun s’en alla vaquer à ses occupations, laissant la future mère seule avec son ventre plein, sa grossesse imminente et ses poissons à vider, son père étant reparti chercher les dernières brouettes.

Malheureuse, mortifiée, blessée et humiliée, l’adolescente n’eut pas d’autre choix que d’obéir à son père, refoulant de son mieux les contractions douloureuses et de plus en plus rapprochées qui lui tordaient le ventre, menaçant de faire sortir l’enfant d’une minute à l’autre. Dans ses yeux sans profondeur, sur ce visage banal, on pouvait cependant lire une haine féroce, dirigée contre ce bâtard qu’elle portait et qui lui valait toutes ces souffrances. Fille facile, qu’on disait d’elle. Fille sans honneur, fille sans valeur, fille qui s’allonge sous le premier venu. Reniée par son père, bouffée du regard par les passants mesquins, les commerçants goguenards et cruels, les adolescents intéressés du coin, elle était devenue un rebut de la société, en plus d’être la poissonnière du marcher. Et tout ça, c’était à cause de ce beau capitaine qui lui avait si galamment fait la cour, charmant et séduisant, avec ses yeux gris argenté, son sourire malicieux et ses mains délicates.

Elle ne put retenir un cri de souffrance lorsque les contractions s’accentuèrent, soudaines et violentes, très brusques. Nauséeuse et vaseuse, elle se leva tant bien que mal pour s’éloigner des poissons, trouvant un endroit à l’abri des regards pour commencer le travail. Elle n’avait plus de mère depuis ses cinq ans, personne ne lui avait jamais expliqué comment ça fonctionnait, ce qu’il fallait qu’elle fasse. Mais elle le fit pourtant à l’instinct, au dessus d’un tas de vieille paille, dans un recoin d’un entrepôt désaffecté depuis des années.

C’est ainsi que naquit celui qui deviendrait plus tard Silver Johnatan Holmes.

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«Two strangers with no one to miss us.»


Londres. XVIIIe siècle. Début du mois de décembre.

L’enfant errait, en guenilles sales et trouées, dans les grandes avenues glacées du Londres hivernal. Il avait cette allure sauvage et étrange des êtres habitués à la vie dans la rue, cette manière de marcher qui cherchait à se fondre dans la masse, cette manie de longer les murs et de se faire petit, discret, invisible. Il avait froid, il avait faim, mais son regard exprimait cette détermination brusque et assurée de ceux qui ne se plaignent pas. Qui endurent en silence.

Il n’avait pas huit ans, malingre et fragile, la peau naturellement pâle mais d’autant plus accentuée par la neige qui parsemait ses cheveux châtains foncés, sales et un peu mouillés. Sous l’aspect bleu glacé de son visage d’enfant, quelques taches de rousseur venaient égayer un peu ce minois mutin et malicieux, éclairé par un regard très gris, intense mais clair, comme le ciel de cette journée d’hiver, lumineux et brillant. Il claquait des dents et des éclats de gel se formaient dans ses cheveux, aux pans de ses vêtements détruits. Il avait les doigts bleus de froid, il trainait des pieds dans ses chaussures troués, mal assemblées et en cuir de mauvaise facture. Il se trainait en silence le long des jolies boutiques de la rue, s’approchant parfois des étalages de Noël avec ce regard émerveillé des enfants, les yeux plein d’envie et de tristesse, mais sans jamais faire mine de voler quoi que ce soit.

- Hé gamin ! Attends !

Surpris, l’enfant se retourna. Quand n’importe quel autre gamin des rues aurait cherché à fuir, lui restait simplement planté là, sur le trottoir de l’avenue, le regard interrogateur. Un homme s’approchait de lui, grand et imposant dans son long manteau noir. Il était l’archétype du britannique qui a réussit, avec ses chaussures confortables, son costume taillé sur mesure dépassant de son trench bien coupé, son chapeau élégant et sa petite moustache soignée. L’enfant le regarda sans broncher, étonné et candide, naïf. La rue ne l’avait pas encore totalement eut.

- Comment t’appelles-tu ?

L’homme s’était accroupit devant lui, pour se mettre à sa hauteur. Un adulte aurait pu voir dans son regard noisettes les étincelles de cupidité qui caractérisaient les gens opportunistes et plein d'ambition. Mais il s'adressait à un gamin, un petit garçon d'à peine huit ans. Silencieux, l’enfant le regarda un long moment avant de répondre d’une voix un peu fluette :

- Je n’ai pas de nom.

L’homme sembla surpris. Il n’avait peut-être encore jamais croisé de personne sans nom, l’enfant savait intuitivement que ce n’était pas normal. Que c’était bizarre et peu courant. Tous ceux qu’il avait rencontrés jusqu’ici avaient un nom, ou du moins un surnom. Il esquissa un petit sourire timide et demanda, avec la naïveté propre à son âge :

- Et toi, comment tu t’appelles ?

Ayant grandit dans la rue, parmi les enfants issus des orphelinats, les adultes sans foyer, les femmes faciles, il n’avait jamais apprit la politesse. Il ne savait pas qu’il fallait utiliser le vouvoiement pour les personnes plus âgées, il ne connaissait pas réellement les marques de respect. Et cela sembla attendrir un peu son interlocuteur, qui répondit en souriant :

- Je m’appelle Johnatan Holmes. Que dirais-tu d’un bon repas chaud et d’un lit pour dormir ?

L’enfant hésita. Candide et encore innocent, il avait pourtant déjà été mis en garde contre les adultes qui pouvaient lui vouloir du mal. Les filles faciles qui lui offraient parfois un lit pour dormir lui avaient expliqué que dans la vie, les gens n’étaient pas tous gentils, qu’il fallait faire attention. Mais il avait si froid, si faim …

- Je veux bien.
- Parfait. Alors suis moi, je vais te montrer où j’habite. Mais au fait, il faut te trouver un nom.

L’homme se redressa et épousseta la neige qui s’était déposée sur ses épaules, retirant ensuite son chapeau pour le secouer un peu. D’un air songeur, il observa l’enfant, qui n’avait pas bougé. Ce regard si pur, si gris, si lumineux … Ces tâches de rousseur enfantines, ce petit sourire timide qui venait parfois …

- Que dirais-tu de t’appeler Silver ? Silver, Johnatan, Holmes.

L’enfant eut un sourire radieux, étincelant de joie et de reconnaissance. Pour la première fois de sa vie, quelqu’un se souciait de lui. Quelqu’un lui offrait le gîte et le couvert.

Mais surtout, pour la première fois de sa vie, quelqu’un lui offrait une identité.

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«What sweet seduction lies before us ? »

Londres. XVIIIe siècle. Fin du mois de juin.

Les draps froissés, l’odeur de l’étreinte, la sueur séchée sur leurs peaux nues … Silver esquissa un sourire satisfait. Amant puissant et performant, il endormait toujours ses proies après l’acte, feignant d’être un amoureux transis, berçant les femmes dans ses bras finement musclés jusqu’à ce qu’elles plongent dans un profond sommeil, paisible et réparateur. Content de lui, il attendit encore quelques minutes avant de quitter le lit et de remettre son pantalon, cherchant du regard sa chemise en lin et sa veste en tweed. Une fois habillé, il déposa une rose rouge sur l’oreiller près de sa victime avant de descendre au rez de chaussé pour jauger sa récompense.

Une fille de magistrat, ça payait bien. Bibelots hors de prix, tapis persans très riches, vaisselle de luxe … Il s’empara d’un petit œuf en cristal, magnifiquement ciselé, très fin et dont le gain à la revente serait astronomique, et le glissa dans son sac. Il eut un moment de recul en remarquant un mouvement dans un miroir mais lorsqu’il se retourna, il ne croisa que le regard somnolant du chat persan blanc endormis sur son coussin. Secouant la tête d’un air amusé, il s’en approcha en soufflant :

- Je suis sur que tu vaux une petite fortune, toi aussi, mais tu n’es pas très pratique à voler. Désolé, votre gracieuse majesté …

L’animal ronronna sous la caresse, indifférent quant à l’identité de cet homme qu’il n’avait jamais vu. Un sourire amusé aux lèvres, Silver continua sa récolte. Couverts en argent pur, montre à gousset richement gravée, jolie dague de collection … Une fois qu’il eut terminé de prélever ce qui l’intéressait, il alla ouvrir la porte de la cuisine et quitta la maison les mains dans les poches, désinvolte et nonchalant.

L’enfant de huit ans aux mains bleus de froid avait laissé place à un homme élégant, fin et gracieux, au sourire encore très juvénile, musclé avec finesse, agile et adroit comme un funambule, charmeur et séduisant comme un acteur, discret et invisible comme voleur. Sa méthode favorite ? Séduire les jolies femmes riches pour s’introduire dans leur lit et en repartir après l’étreinte en emportant ce qui l’intéresse. Il avait vingt et un an et pratiquait cette activité depuis ses onze ans.

Son mentor, Johnatan Holmes, était un des plus grands voleurs de la ville. Homme cultivé, interlocuteur très apprécié dans les soirées mondaines, fin orateur, excellent précepteur, il était cependant devenu un peu trop âgé pour arriver à séduire les proies réellement intéressantes. C’est donc tout naturellement qu’il avait instruit et élevé le jeune Silver pour en faire son digne successeur.

Et l’enfant, après quelques débuts hésitants, s’était vite laissé prendre au jeu. Manipulateur et fourbe, Johnatan avait su l’amener à abandonner les quelques rares lambeaux de morale qu’il pouvait rester dans l’esprit encore candide du petit garçon, en faisant une arme redoutable. Intelligent, très vif d’esprit, avide et curieux, Silver avait très vite suscité la fierté de son mentor, qui le traitait comme son fils au cœur d’un Londres noble et riche.

A peine une heure après son larcin, il passa le portail en fer forgé de l’immense demeure de style colonial dans laquelle il vivait, avec son père adoptif et mentor. Sans se presser, il alla ouvrir la maison et se glissa à l’intérieur en prenant soin de bien saluer la petite vieille suspicieuse qui vivait dans la maison d’à côté et qui avait la sale manie de toujours les observer derrière le rideau de sa fenêtre.

En sifflotant, il se dirigea vers la table de la salle à manger, déposant en son centre le sac plein de richesse qu’il avait rapporté. Il observait une fois de plus l’œuf en cristal qu’il avait ramené lorsqu’il entendit le bruit caractéristique de la canne en bois contre le parquet, alliée fidèle et solide de son mentor qui vieillissait de jour en jour, rongé par les rhumatismes et l’arthrose.

- Tu es rentré … La récolte fut-elle bonne ?
- Regarde par toi-même …

Silver se retourna en tenant l’œuf dans sa main, un sourire narquois aux lèvres. Son mentor s’approcha d’un pas difficile, lent. Les maladies lui avait fait prendre presque quarante ans, depuis ce jour lointain où il avait sorti Silver de la rue. Ses cheveux autrefois noirs étaient désormais tous blancs, sa moustaches aussi. Ses joues étaient devenues creuses, sa peau grêle et ses yeux presque opaques. Il tendit une main difforme et disgracieuse vers l’objet que lui proposait son fils adoptif et le porta à la lumière pour mieux le distinguer. Puis un sourire appréciateur déchira ses lèvres craquelées.

- Joli. Tu en tireras un très bon prix chez Smith, d’ici deux a trois semaines.
- Je sais. J’ai aussi récupéré des couverts en argent, une dague de collection et quelques autres babioles. La fille étant un bon coup, je suis très satisfait de ma matinée.
- Je suis fier de toi, va.

Johnatan reposa l’œuf sur la table avec précaution avant de s’éloigner en claudiquant vers le salon, se laissant ensuite tomber dans un fauteuil en cuir, près de la fenêtre. Et dès lors, il ne bougea plus, observant la rue d’un regard aveugle et ressassant ses souvenirs avec une nostalgie palpable.

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« I don't quite now. How I say how I feel ... »

Londres. XVIIIe siècle. Fin du mois de septembre.

Le bruit régulier des gouttes d’eau sur le bois lustré du cercueil, la grisaille stéréotypée des enterrements automnaux d’Angleterre, le marbre immaculé de la pierre tombale qui se refermerait sur la boite en acajou renfermant son mentor défunt …

Silver regardait d’un air dédaigneux tous les individus en noir qui se tenaient sous leurs parapluies élégants, hypocrites de première classe venus rendre un prétendu hommage à un homme qu’ils n’avaient que très peu, voir pas connu du tout. Il avait le cœur gris de tristesse, les yeux voilés de larmes amères et sincères, mais il ne ferait pas l’honneur de céder à sa détresse devant tous ces hommes et toutes ces femmes présents dans le cimetière. Il ne flancherait pas, il ne leur ferait pas le plaisir de leur donner matière à se réjouir de son malheur.

Les arbres décharnés se grandissaient vers le ciel comme pour l’implorer, pour chercher ses larmes et réclamer grâce. Les quelques rares feuilles encore accrochées ployaient sous le poids de la pluie, tristes et faibles, les autres virevoltaient doucement autour du petit groupe en noir. Il faisait froid, un brise réelle secouaient les manteaux et les robes, tout le monde se tenait le chapeau ou s’accrochait à son parapluie. Le seul tête nue était le jeune homme aux yeux gris, debout devant le trou qui s’apprêtait à recevoir le cercueil de son mentor. La pluie ruisselait sur son visage, goutait de ses cheveux pour tomber sur les épaules carrées de son manteau noir. Malgré le chagrin, il restait droit et fier, imposant. A l’image de l’homme qui avait fait de lui celui qu’il était.

- Repose en paix. A jamais.

Sur ces derniers mots, Silver se retourna et s’éloigna, sans un regard en arrière. D’un pas tranquille et posé, régulier, il regagna la maison que son mentor lui avait léguée. Sur la boite aux lettres, deux noms étaient encore lisibles.

Silver & Johnatan Holmes.


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« I dont have the time for a drink from the cup. »

Londres. XVIIIe siècle. Début du mois de mai.

Le printemps c’est joli pour se parler d’amour.

Les corps se trouvent, s’embrasent, se collent, se couvrent de sueur … Le goût des étreintes passionnées, histoires éphémères et fugaces, fulgurantes mais étincelantes, qui ne durent qu’un instant. Les souffles qui deviennent courts, les langues qui fatiguent, les muscles qui tirent et les draps qui se froissent sous les corps en pleine action. Les parfums exacerbés, odeurs corporelles plus puissantes que jamais, baisers brûlants, va et vient charnel, gestes érotiques aux creux des intimités taboues, autant de mystères dévoilés, autant de chair mise à nue. Les cris traitres qui passent les lèvres féminines, les râles rauques de l’amant éperdu … Les mots chuchotés à mi-voix, les promesses que l’on murmure facilement au creux d’une étreinte sans lendemain, les projets d’avenir qui s’évanouissent aussitôt qu’ils sont prononcés … Et les premières somnolences, cette chape de plombs qui tombe sur la nuque de la tendre amante.

Amour fade, amour sans joie, amour dépravé pour oublier le vide d’une vie sans personne à qui manquer.

Tout en veillant à ne pas faire de gestes brusques, Silver quitta les draps de la femme d’un des Lords les plus importants du Parlement. Une vraie beauté, pleine de charme et de forme, très séduisante. Et un très très bon coup. Il lui avait fallut trois fois pour la combler et l’endormir, fait très rare pour ne pas dire que c’est la première fois que ça lui arrive. Il se rhabilla en silence, un peu las et ennuyé, avant de descendre chercher de quoi combler ses envies de richesse. Mais depuis la mort de son mentor, quatre ans plus tôt, il n’avait plus vraiment de goût pour le vol, la séduction. Il ne voyait là qu’un moyen de ne pas sombrer dans l’alcool et la dépravation de mauvais genre, il prenait le vol comme un hommage à la mémoire de celui qui lui avait enseigné comment survivre dans ce Londres injuste et plein de privilèges.

Machinalement, il attrapa un cadre en argent massif, lourd et visiblement précieux, qu’il glissa dans son sac, avant de s’intéresser aux montres élégantes et de bon goût qu’il voyait dans une vitrine, non loin d’une grande horloge en bois. Avec précaution, il ouvrit le panneau de verre pour récupérer les plus jolies, les plus riches donc. Un peigne en ivoire trouva lui aussi le chemin de son sac, ainsi qu’une petite statuette de Jade. Un encrier, une plume et de nombreux bibelots du même genre suivirent le même chemin.

Fatigué, las et dégoûté, il quitta la demeure en passant par la fenêtre de la cuisine, traversant le parc pour ensuite escalader un arbre et passer par-dessus le mur en brique, se retrouvant au beau milieu d’une petite et sombre ruelle, étroite et silencieuse. Il fourra les mains dans les poches de son manteau et commença à longer le mur en direction du centre de Londres, espérant regagner l’avenue principale le plus vite possible.

A trop faire l’amour, on en perd des réflexes essentiels à sa survie. A trop jouer l’amant, on devient un esclave de la chair. Un drame arrive si vite. Un éclair aussi argenté que ses yeux, aussi vif que son prénom traversa la ruelle et vint se planter dans son abdomen. La lame fourragea correctement dans ses entrailles, tournant lentement et vicieusement, lui arrachant un gargouillis de douleur qui fit gicler du sang sur son assaillant. Un voleur dénué de scrupule, de ceux qu’il avait évité grâce à son mentor. Un voleur assassin qui dépouillait ses homologues sans se soucier de la morale ou de l’éthique. Il se faisait tuer pour un peigne en ivoire et une statuette en jade, quelques bibelots sans réels prix. Quelle ironie.

Sans force, il tomba à genoux au milieu de la ruelle, dans le caniveau qui charriait tous les déchets des nobles. Son meurtrier lui arracha son sac d’un geste brusque, lui donna un violent coup de pied dans la figure et s’en alla en courant vers les profondeurs des ténèbres. Vacillant, nauséeux, déchiré par une douleur atroce, Silver le regarda s’éloigner sans réellement comprendre qu’il était voué à finir sa vie ici, entre ces murs de briques d’un rouge plus vif que l’hémoglobine qui sortait de ses entrailles et lui réchauffait les mains. Puis, il s’écroula tête la première sur le béton sale et puant, s’éclatant le nez et la mâchoire.

Le choc de l’attaque l’avait privé de ses larmes, la douleur dans son ventre lui coupait le souffle et il ne parvenait même plus à émettre le moindre son. Le sang coulait sans discontinuer de sa bouche, de ses entrailles, de son appendice nasale cassée, formant autour de lui une flaque chaude et visqueuse, d’un pourpre soutenu virant doucement au noir intense. Le néant le guettait, s’approchant doucement de lui pour le plonger progressivement dans une obscurité neutre, de plus en plus froide, de plus en plus silencieuse. Les battements de son cœur résonnaient à ses oreilles, lents, profonds, intenses … de moins en moins réguliers. Puis soudain …

Le silence.

Quelle ironie.

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« This hurricane's chasing us all underground »

Londres. 2011. Milieu du mois de décembre.

La Grande-Bretagne étant une île, la météo y était connue pour être changeante et capricieuse, trait particulièrement apprécié des artistes lunatiques mais beaucoup moins des hommes sans imagination, petits êtres engoncés dans leur quotidien prévisible. Londres était une de ces villes ou sortir sans parapluie était prendre un risque. C’était une de ces cités capricieuses et folles qui pouvait passer d’un soleil hivernal très pur et agréable à de soudaines giboulées de neige accompagnées de rafales de vent terribles.

Mais, pour la première fois depuis plus de cinquante ans, l’archipel britannique faisait face à une tempête monstrueuse, dévastatrice et surpuissante. Le vent arrachait jusqu’à la toiture des demeures les plus solides, la pluie s’infiltrait partout dans les murs, sous les combles, sous le bord des fenêtres, le ciel grondait d’un tonnerre féroce, étendue noire de colère strié d’éclair de rage, intenses et lumineux, effrayants. Un paysage post-apocalyptique s’installait sur le pays et Londres était très durement touchée.

A tel point que lorsque la tempête s’éloigna, on retrouva de nombreux terrains dévastés, troués de part en part, des maisons détruites, partiellement ou totalement, des voitures retournées, des arbres déracinés venus s’écrouler plus loin en travers des rues, des maisons ou des allées pavées. Des cimetières entièrement retournés. Un désastre sans nom, de très lourdes pertes, humaines et matérielles. Un triste jour pour sa majesté.

Mais au cœur des drames personnels et des tragédies collectives, une découverte fantastique secoua la ville. Au beau milieu de Mayfair, un des plus riches quartiers de la ville, dans un parc bien soigné d’une demeure très anglaise appartenant à une petite aristocrate de la vieille Angleterre, un glissement de terrain avait dévoilé un corps. Un squelette très abîmé, malmené par le temps passé sous terre et la récente tornade, mais qui datait sans aucun doute d’un autre siècle.

Fascinés, tous les plus grands scientifiques de la cité se pressèrent autour de cette nouveauté, aubaine fabuleuse pour les plus jeunes, miracles inespérés pour les plus aguerris. Avec maintes précautions, on déplaça les restes humains jusqu’à la morgue la plus proche, celle de l’hôpital qui avait subit le moins de dégât au regard des récents drames météorologiques.

Les médias s’en donnèrent à cœur joie, ce mystérieux inconnu d’un autre siècle réussit même l’exploit de faire couler plus d’encre que la tempête. Chacun y allait de sa petite supposition, grand émoi dans le monde de la science et de l’archéologique, de l’anthropologie.

Jusqu’à ce qu’un des maitres de la science, presque deux semaines après la récupération des restes, parviennent à restituer aux os une date et un nom.

Silver J. Holmes. XVIIIeme siècle

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