Le décor était agilement vêtu de rouge, de noir et surtout, de métaux étincelants. La lumière du jour se faufilait en grands rayons à travers les fenêtres rectangulaires situées à l’extrémité supérieure des murs de pierres. De nombreuses tables encombraient l’espace et, au fond à droite de la pièce trônait un lit géant, survolé d’une lame à largueur d’homme, d’une hauteur de plus de deux mètres. Cette pièce faisait fuir bien des visiteurs et nombreux étaient ceux qui tentaient de se libérer de leurs bourreaux, en vain. Ils y venaient tous pour souffrir, pour mourir et, outre la reine et les trancheurs de tête, le pays des Merveilles n’avait vu que très peu de gens entrer dans cette salle avec autre chose qu’un visage blême rempli de terreur. Les instruments de torture qui les pétrifiaient tous les uns après les autres reflétaient la lumière du jour avec une force meurtrière, éclat qui réveilla le défunt homme qui s’y trouvait.

Ce dernier grogna dans son sommeil, ses membres agités par un cauchemar que la couleur vive du soleil avait créé. Il se revoyait dans un océan de blancheur et de douleur, les yeux attaquer par l’impossibilité de voir, puis, il eut un choc. Pas de paysage, pas d’explications, pas de visions, seulement la blancheur de mort et le reflet d’un liquide foncé contre ses bras. Jake se réveilla en sursaut, ignorant ce qui lui avait pris de rêver d’autres étranges évènements. Il ignorait également où il se trouvait et c’est avec une peur bleue qu’il réalisa que les reflets de métal autour de lui n’étaient pas que de simples couteaux de cuisine. Il y avait des tables, environ cinq, sinon plus, toute entièrement recouvertes de diverses instruments de torture. Il y avait de nombreuses fourches, des paires de gants tachées de sang et, tout au fond – à cette vision, Jake sursauta, son corps bondissant contre le mur situé derrière – une guillotine. Elle semblait le regarder de ses yeux féroces, sa langue métallique se délectant contre ses lèvres inexistantes de sa future proie. Elle était si grande, si imposante que Jake se demanda cela pouvait être réel. Le sommet de cet objet de mort se perdait dans le haut plafond rouge vin. Elle semblait vivante et, le vent qui sortait d’on-ne-sait-où – peut-être en n’avait-il tout simplement pas – donnait la terrifiante impression que cette arme meurtrière respirait, sa poitrine se gonflant de sang à chaque inspiration. Jake leva la main et la porta à son cou, massant les nerfs tendus de celui-ci. Il sentait la lame, sans pitié, s’abattant avec violence contre son cou, détachant son corps de ce qui lui restait d’humanité. Il était décédé depuis quelques semaines mais, ne l’ayant pas totalement réalisé, Jake ne put arrêter le frisson qui lui parcourait le corps de la tête aux pieds. Jake avait vu tant de choses les plus intrigantes et farfelues les unes que les autres qu’il n’attendit pas longtemps avant de se mettre à la recherche d’une sortie. La guillotine demeurait immobile, ses quatre pattes solidement planées au sol mais, elle pouvait très bien attendre qu’il ait le dos tourner et se mettre à le pourchasser, le coinçant dans un cul de sac, pris au piège. Jake avança de côté vers la porte ronde posée sur le mur perpendiculaire à celui qui l’avait sauvé d’une chute dangereuse et saisit rapidement la géante poignée d’or – il tenait entre ses mains un nez proéminent qui protesta; on venait de le priver d’air sans le moindre avertissement. Jake regarda rapidement les deux petits yeux ovales qui l’observaient et, s’excusant en vitesse, tourna la poignée et quitta la pièce, refermant la porte massive derrière lui. Tu vas encore avoir une hallucination; une guillotine, des gants et des couteaux, ça ne bouge pas, cesse de paniquer s’annonça-t-il lui-même à travers ce qu’on décrivait souvent comme la voix de sa conscience. Jake vérifia que la porte était bel et bien verrouillée et, une fois certain qu’il était hors de portée des tours de pouvaient lui jouer son imagination, il alla s’asseoir un peu plus loin, sur le plancher surélevé qui gardait en permanence la reine supérieure aux autres, qu’elle soit debout ou assise. Il tourna dos à la porte et, attentif, se mit à guetter les bruits que cette nouvelle pièce vide – il n’y avait même plus le fameux trône rouge de la minuscule Reine Rouge – lui renvoyait, écho de ses propres pas.

Un cliquetis se fit entendre, puis vint le bruit d’une poignée de porte que l’on tourne. Jake regarda derrière lui, devant lui, à gauche puis à droite, un peu plus calmé. D’où venait ce bruit, d’où arrivait cette nouvelle personne ? Il n’allait pas tarder à le savoir. N’ayant rien d’autre à faire, Jake se mit à observer les lieux. La pièce était peinte d’un gris très pâle presque blanc, les murs immaculés de toute anormalité, le plancher fabriqué de céramiques cassantes ordonnées à la perfection. Il y avait un tapis noir et rouge endormi sur le second plancher où se tenait Jake, surélevé de celui du hall d’une trentaine de centimètres. Il était en plein centre de la pièce et quatre carrés ancrés dans le tissu épais trahissaient l’ancienne présence du trône. Derrière ce tapis abandonné pendaient de longs rideaux rouges, mesurant chacun une dizaine de mètres, trainant au sol, à peine poussiéreux. La pièce vide semblait elle aussi morte; cette pièce qui avait été témoin d’innombrables meurtres avait fini par s’éteindre à son tour, épuisée de tant de violence. Bientôt, un autre être mort, humain ou animal, viendrait se joindre à Jake dans cette salle de trône privée son élément principal, soit le trône lui-même. Où était donc passée la Reine qui aimait tant crier « Qu’on lui coupe la tête ! », brisant de sa voix aigue les rêves des enfants qui lisaient ce conte fabuleux qu’était autrefois Alice aux Pays des Merveilles ? Jake l’ignorait tout comme il ignorait comment il était atterri dans ce château abandonné et se dit qu’une petite certitude ne serait pas de refus.