Lise Barnay

« Belle un jour, Belle toujours. »

RACONTEZ NOUS VOTRE MORT : Les circonstances de ma mort… On est réellement obligé de passer par là ? Ça ne m’enchante pas trop. Ce n’est pas très glorieux… Bon, puisqu’on ne peut pas y couper. C’était lors d’un défilé important pour promulguer un tout nouveau couturier au style peu orthodoxe mais très prometteur. Tout s’annonçait pour le mieux, la salle de défilé était comble, les projecteurs placardaient les ombres des autres mannequins sur le public, attroupé autour du podium. Ces créations novatrices enthousiasmaient le public et mon cœur battait à tout rompre à l’idée d’enfin monter sur scène, de prêter mon corps dessiné en tant que support à ces œuvres représentant tant de travail et d’amour… Et quand enfin mon tour arriva, la musique battant le rythme de mes pas, le projecteur principal braqué sur moi et les acclamations s’élevant en contre bas… c’était le paradis ! Et pourtant, pourtant ! Alors que je tournais les talons afin de revenir en cadence vers les coulisses du show, l’incident pour le mois ridicule : rupture du talon aiguille de l’une de mes chaussures haute couture. La chute était inévitable. Déséquilibrée par la démarche, mon corps bascula vers la fosse, mon cou heurtant sèchement la bordure du podium. Le coup du lapin… J’aurais préféré une mort plus glorieuse… Ou tout du moins plus artistique ! Maintenant sachez que je me verrais dans l’obligation de vous refaire le portrait si vous divulguez ce… secret !

QUE PENSEZ-VOUS DU PAYS DES MERVEILLES ACTUEL ? : Que vais-je devenir ?! Mon teint s’assombris à mesure que le temps se dégrade… Mais courage, luttons ! Cela ne fais que peu de temps que je suis arrivée (je ne sais comment) dans ce pays étrange, mais faisons ce qui est en notre pouvoir pour qu’Alice aille mieux et que je puise redevenir une star ! Et ce n’est pas peut dire, toutes ces créatures fascinantes, gracieuses ou disgracieuses, mais quelle public potentiel attrayant ! Vite, que l’on monte la scène !

QUEL EST VOTRE ENDROIT PRÉFÉRÉ DANS CE PAYS ? : Mon lieu préféré ? La Vallée des Larmes évidemment ! Pourquoi ? C’est bien simple, vous allez comprendre : imaginez une magnifique plateforme devant cette étendue d’eau romantique soudainement transcendée par une nuée de projecteurs multicolores ! Enfin… ça c’est si j’arrive à trouver des projecteurs dans ce monde un peu paumé hein ! Qui sait, peut-être que si on arrive à monter un show assez gai, Alice ira mieux ! Aller, tous en piste, pour la joie de tous mes fans !

Cher journal,
Toi qui est et resteras toujours mon plus grand fan, je viens te confier les plus grand comme les plus petits secrets de ma courte existence.
Je suis née le 5 février 1990 à Londres. Mes parents étaient loin d’être riche et la vie n’était donc pas toujours faite que de bonnes choses, surtout en fin de mois. Mais malgré cela, j’avais une chance incroyable. La nature m’avait accordée le droit d’être belle. Déjà petite, mon visage aux formes parfaites et au teint de lait faisait des jalouses à l’école ! Je n’ai jamais beaucoup aimé l’école d’ailleurs. La maîtresse me regardait toujours de travers. Maman disait qu’elle était jalouse de mes cheveux. C’était fort probable. Alors que je n’avais que 8 ans, un homme étrange se présenta à la maison, un soir après l’école. C’était un chasseur de tête pour le milieu du mannequina. A l’époque, j’ignorais tout de ce genre de milieu et de tout le bonheur qu’ils peuvent vous apporter. Papa disait que je ne devais pas suivre cet étranger, qu’il était malhonnête. Et pourtant, au fond de moi, j’avais envie de le suivre, car mon instinct de star déjà précoce me promettait un fameux destin. Maman n’était pas d’accord avec papa et ils se disputaient souvent. Je n’aimais pas les voir comme ça. Encore moins à cause de moi. Finalement, maman pris sa décision dans son coin, elle m’emmena « à l’agence ». « L’agence », c’était l’endroit où travaillait le monsieur de l’autre fois. J’étais un peu nerveuse, maman aussi. Je me demandais ce qu’il pouvait bien me vouloir mais ce devait être important. J’avais souvent entendu mes parents dire qu’un peu d’argent en plus ne ferait pas de mal au foyer. Il n’allait pas me vendre quand même ?! L’homme en question m’expliqua qu’il voulait juste faire des photos de moi. J’étais toute excitée, c’était la première fois qu’on allait me prendre en photo ! Il a commencé par me photographier comme j’étais, prenant surtout des gros plans de mon visage. Après, il m’a fait passer dans un « vestiaire » où une dame très gentille m’a fait essayer pleins de vêtements neufs. J’ai tout de suite eu le coup de foudre pour les jolies robes. On m’a ensuite conduite dans une salle avec des espèces de gros parapluies et pleins de lumières. La dame du vestiaire m’a expliqué que je devais « poser ». Inutile de m’expliquer d’avantage, je l’avais dans la peau ! Cette séance fut une véritable révélation, tant pour moi que pour « l’agence » qui m’invita à revenir la semaine suivante. Le temps que la direction se rende compte de mon talent juvénile. La semaine suivante, j’y retournais pour faire mon book. Commença pour moi une nouvelle vie. Pour toute la famille en réalité. L’argent que je rapportais nous permettait de mieux manger, d’avoir un quotidien plus confortable. La contrepartie, c’était de voir mes parents se disputer à propos de la provenance de cet argent. Il la soupçonnait de se prostituer pour améliorer leur quotidien :
- Tu nous déshonores ! M’estimes-tu à ce point incapable de subvenir aux besoins de la famille ?!
Cette phrase revenait de plus en souvent. Moi de mon côté, je m’épanouissais dans cette nouvelle vocation. Tout le monde était aux petits soins pour moi et j’étais la petite star incontestée. A l’école, le mépris se changeait en jalousie ou en envie. J’ai donc pu grandir dans ce cocon d’admirations qui était pour moi aussi précieux que l’amour d’une mère. L’adolescence se montra ensuite avec son lot d’inquiétudes : la peur des boutons, de la poitrine, et de tous ce qui définit le corps féminin. Heureusement, je m’accordais fort bien de ce nouveau corps. Quand l’agence décida de rompre le contrat sous prétexte qu’ils étaient spécialisés dans les photos d’enfants et que j’étais devenue trop âgée, la concurrence se rua pour m’avoir. Il me fallait également refuser des contrats dégradants. Hors de question pour moi de faire du nu ou des clichés en sous-vêtements ! Il leur faudrait me prendre telle que j’étais, avec mon sal caractère en cadeaux, ou pas du tout. Je leur laissais donc un mois pour me faire diverse propositions, un mois au terme duquel je choisirais une nouvelle agence. J’étais parfaitement consciente que pouvoir choisir avec qui travailler était un luxe considérable et c’est pour cette raison que j’en profitais le plus possible, dans la limite du raisonnable. J’attendais à la fois un gros cachet, c’est vrai, mais aussi un environnement de travail qui me convienne. Pas la peine de signer un contrat pour être la vedette un mois avant d’être supplantée par une autre, je voulais être la vedette incontestée. Certes, une grosse partie du travail m’incombait, mais il me fallait aussi trouver des gens sérieux, qui ne se laissent pas facilement influencer par les nombreux caprices de la mode, des gens au style bien à eux car je serais exceptionnelle en mon genre. J’ai d’ailleurs cru que je ne trouverais jamais d’agence comme celle-ci. J’étais donc résignée, le mois passé comme je l’avais promis, à signer dans une entreprise qui payait bien, mais un peu monotone. J’avais choisi la meilleure offre, celle qui me rapporterait le plus, mais je ne pouvais pas dire que la motivation était là. Je me trouvais donc assise dans le bureau, un homme ennuyeux me relisant le contrat en question une fois de plus. Je ne l’écoutais pas, il n’était pas plus qu’une source de revenu pour moi, en attendant de trouver mieux. Agacé par mon manque d’attention, il interrompit sa lecture et me tendit un stylo afin que je gribouille son papier une bonne fois pour toute. Alors que je m’apprêtais à prendre le stylo, mon téléphone se mit à sonner. Ignorant complètement l’homme en face de moi, je décrochais. Je savais que ce geste me coûterais certainement le contrat mais à quoi bon ? Il ne m’intéressait pas.
Au bout du fil, une agence qui cherchait à me contacter à la dernière minute. Le nom ne m’évoquait rien et la femme au téléphone m’expliqua qu’ils avaient ouvert à peine un mois auparavant. Nous avons passé un bon quart d’heure à négocier au téléphone sous l’œil effaré du directeur qui m’avais précédemment convoqué et finalement, nous sommes parvenus à un accord. Certes, ils ne pouvaient pas me payer autant que certains, mais leur projet était pour le moins original et me plaisait, j’avais envie de le soutenir et d’y prendre part. Je quittais sans plus attendre le bureau de luxe où je me trouvais pour gagner le siège de cette nouvelle entreprise. L’extérieur ne payait pas de mine et il n’était pas aisé de deviner qu’on y trouvait une agence de photographie et de mode à l’intérieur. On me reçut sur le champ. Ici le gérant était une gérante et quelque chose me disait qu’on allait bien s’entendre. Elle ne s’éternisa pas en parlotte mais m’appris qu’ils travaillaient en parallèle avec un nouveau magazine très prometteur bien qu’assez marginal. Quitte à gagner moitié moins, je signais sans attendre, cette histoire m’emballait. C’est ainsi que débutait ma brillante carrière et que la boîte subit un engouement incroyable de la part des jeunes adolescentes. La suite, vous la connaissez donc ne m’obligez pas à revenir sur les détails désagréables.