Ella Artémis Delaney

« Where is my mind ? - In your ass. »

RACONTEZ NOUS VOTRE MORT : Comment diable vous parler du sujet considéré comme le plus intime à mes yeux ? Ma mort - appelons-la comme ça - ne s’est pas faite en un jour vous savez. Ça a été le travail de toute ma vie, je m’en rends compte maintenant. Oh, ne croyez pas que j’ai passé toute ma vie a essayé de me tuer ! Non, ce n’est pas ça ! Pas ça du tout. J’aimais ma vie. Mais ce qu’elle était devenue … vous connaissez ce sentiment ? Quand vous savez que le bonheur ne vous sera plus jamais accessible ? Bref, une vie vaut-elle la peine d’être vécue si ce n’est que pour avoir la satisfaction de ne pas être lâche ? Je ne crois pas.
Le jour où j’ai commencé à mourir, le pire jour de ma vie, j’étais à Londres. Je m’entrainais pour mon objectif final. Les jeux olympiques. J’étais une gymnaste très douée ! Et puis, pendant cette routine aux barres asymétriques, j’ai raté une figure. Je suis tombée, j’ai perdu connaissance. Après, le restant de ma vie me parait assez flou. Après cet évènement je n’ai fait que de retarder l’inévitable de toute façon. Les médecins m’ont dit que mon dos était sérieusement amoché, et que ça ne datait pas d’aujourd’hui. Que si je reprenais la gymnastique, je finirais paralysée, qu’ils ne pouvaient rien faire pour moi. Je suis restée allongée deux jours durant dans mon lit d’hôpital, à examiner mes différentes options, rien n’était très gai. Quand j’ai enfin eu mon autorisation de sortie, ils m’ont mise dans un fauteuil. Premier déclic. Le second a été quand j’ai vu ces magnifiques baies vitrées. Je les ai tous pris par surprise, je me suis levée, j’ai couru, et finalement ça a été aussi rapide que si je m’étais mise une balle dans la tempe. Je me souviens m’être quand même protégée le visage, peut-être le dernier geste de respect envers la vie. Il y a eu tous ces petits morceaux de verre autour de moi, comme si je traversais un miroir. Et puis je suis tombée. Le sourire aux lèvres. J’étais libérée.

QUE PENSEZ-VOUS DU PAYS DES MERVEILLES ACTUEL ? : Au début, je le haïssais. Tout d’abord parce que quand j’ai sauté je pensais trouver le repos éternel dont ma grand-mère me parlait, et qu’à la place je me retrouve en train de courir partout pour sauver ma peau. Ensuite parce que je croyais que tout se passait dans ma tête et que j’étais en train de délirer sérieux. Enfin… plus que d’habitude. Et puis j’ai lancé ma première carte rasoir. Juste, du premier coup (j’ai toujours été très habile pour lancer des choses). Une pomme d’Eden est tombée intacte. C’était la meilleure chose que je n’avais jamais gouté ! Depuis je ne mange presque plus que ça (et des gâteaux sec) ! Mais, en dehors de l’aspect gastronomique, cette contrée est étrange. J’ai l’impression de redevenir petite, quand je sentais tous les monstres autour de moi. Sauf que cette fois-ci je les vois aussi ! On ne sait jamais si l’on va se réveiller ou sur quoi l’on va tomber. Contrairement aux autres rares humains que j’ai croisés, j’aime bien cette sensation, j’adore les surprises ! Ces pauvres gens. Ils perdent souvent de vue que l’on n’a plus rien à perdre. On est déjà tous morts, et prisonniers du cauchemar d’une petite fille par-dessus le marché !

QUEL EST VOTRE ENDROIT PRÉFÉRÉ DANS CE PAYS ? : Je dirais sans hésiter la Falaise Blanche. Avez-vous déjà admiré la vue sur le domaine du chapelier de là-haut. C’est magnifique. En plus penchez-vous un peu trop et c’est une longue chute qui vous attend. N’est-ce pas excitant ? Avoir la mort juste devant vous et ne pas forcément en avoir conscience ? Personnellement je fais mes exercices de gymnastique dès que je le peux devant cette falaise. Ça m’oblige à ne pas me rater. Je sais que là si je fais un faux mouvement, c’est plus que quelques points de pénalités qui me seront retirés…

De tous temps, j’ai eu peur du noir.

Ma famille et moi vivions dans une immense maison de la banlieue Londonienne. La nuit, quand tout était calme, je me terrais en boule sous mes draps, j’avais tellement peur de me faire dévorer par un monstre de l’obscurité que mes parents me retrouvaient presque tous les matins en sueur et en larme. Ils s’inquiétaient beaucoup pour moi, les pauvres. Mais même les meilleurs pédiatres de la région disaient que ce n’était rien d’anormal, juste des mauvais rêves comme en faisait tous les enfants. Seulement ils ne savaient pas que je ne dormais pas. Autant que j’avais peur de me faire manger, j’avais une trouille bleue de fermer les yeux. De m’enfoncer dans un royaume cauchemardesque, si bien qu’à déjà sept ans j’aurais pu être diagnostiquée comme insomniaque. Mais mon manque de sommeil ne se voyait pas, personne n’aurait pu deviner ce qu’il se passait la nuit. J’étais une gamine pétillante d’énergie, qui cabriolait partout avec la souplesse d’un chat et une grâce sans pareille. J’étais déjà un peu orgueilleuse, j’aimais bien voir tous les regards posés sur moi, sur ma mère, la petite flamme d’envie qui brillait au fond des yeux des autres mamans. Ah ! Leur enfants ne m’arrivaient pas à la cheville, et ce, dans n’importe quel domaine ! J’étais déjà une mini-championne de gymnastique, très douée à l’école, et par-dessus le marché, toujours entourée par une petite cour.
On dit que c’est au jardin d’enfant que le reste de notre vie se joue. Qu’elle sera conditionnée par notre éducation, mais pas seulement, notre vie sociale également. Parce que le petit garçon tout seul dans un coin de la récré ne deviendra jamais quelqu’un de très heureux ou de très apprécier, même si on peut juger du contraire, c’est un fait. Je pense que si je n’étais pas morte aussi tôt, j’aurais pu avoir une brillante vie. J’aurais sans doute été l’égérie d’une marque de cosmétique, et puis … coach sportif d’une nouvelle génération de gymnastes. Tout aurait été si parfait ! J’avais été conditionnée à ça toute ma vie et puis … POUF. Me voilà retournée au point de départ ! Quand je dors au Pays des Merveilles, j’ai peur de me faire bouffée. Et cette fois ci ce n’est malheureusement pas une illusion.
C’est à partir de mes douze ans que j’ai réussi à trouver le sommeil. Et finalement rêver ce n’était pas si désagréable que ça. On pourrait trouver ça curieux, mais je me souviens très précisément de mon premier rêve. J’étais sur une poutre, autour de moi il y avait foule elle scandait mon nom. En dessous… il n’y avait rien, que dalle, le néant absolu. J’avais enchaîné quelques figures, et puis … ce qui semblait fait pour arriver arriva. Je tombais de ma poutre, et puis comme je ne cessais de tomber j’ai crié quelque chose comme :

« Le pancake ! Je veux du beurre de cacahuète ! Mamaaaaaan ! S’il te plait … ne pars pas … laisse-moi vendre mon … CHAPEAU ! »

Oui, ce devait être quelque chose comme ça. Phrase qui sembla conditionner le reste de mon existence. Parce que je devins allergique aux pancakes, chose tout à fait regrettable puisque le pancake à la confiture de framboise et œufs brouillés était mon déjeuner préféré. En revanche ma mère quitta mon père pour une sombre histoire de bouquet de fleurs envoyé à la mauvaise personne le jour de la saint Valentin, je n’ai jamais vraiment compris (j’avais quatorze ans). Enfin, c’est plutôt mon père qui quitta la maison qui sembla encore plus vide et terrifiante depuis ce jour. Je ne le revis jamais, mon père, enfin, si. A son enterrement, parce que furieux contre ma mère il n’a pas trouvé mieux que d’aller se souler dans un bar et de cogner sur une grosse brute de quatre-vingt-dix kilos. De muscles, cela va de soi. Le malabar lui brisa le cou sur le comptoir. Une fin assez respectable je trouve, même si elle n’est pas des plus intelligente, c’est beaucoup plus original que le coup de l’accident de voiture je trouve …
Quand au chapeau ; ma grand-mère m’offrit peu après la mort de son fils un bonnet tout à fait ignoble. Il faut dire que je n’ai jamais porté autre chose que des vêtements de marques que ma mère, qui avait été une ancienne mannequin dans sa jeunesse, choisissait avec une torpeur religieuse. Ce bonnet donc, j’ai essayé de le vendre sur e-bay, mais bien sûr personne n’en a voulu, et je fus contrainte de le garder, et encore pire, de le porter, à chaque visite de mon aïeule. Un des plus grands drames de ma vie… après mon accident. Et la mort de papa, c’est sûr.
Bref, toute ma courte existence j’ai été cataloguée comme la jolie petite blonde, intelligente, douce, douée, gymnaste de talent, mignonne, sensible, etc. Je n’aimais pas tellement cette image de fillette intemporelle, bien sous tous rapports, sage et manipulable. Alors j’ai décidé de me démarquer et pour une fois dans ma vie de sortir du moule. Et pour ça je n’ai rien trouvé de mieux que de commencer à fumer (pas de drogue, je vous jure !). Oh, bien sûr, vous pouvez trouver ça puéril et immature à souhait, ça l’est sans doute, mais chaque bouffée de nicotine me faisait me sentir des plus vivantes. Mon entraineur détestait le fait de me voir bousiller mes poumons, j’étais une athlète de haut niveau et j’avais besoin de toutes mes capacités, bla, bla, bla. Mais pendant un temps, le meilleur moment de la journée fut ces quelques bouffées de nicotine.
J’ai arrêté le tabac le jour de mes dix-huit ans, quand mon coach m’a annoncé que j’étais prête, que j’étais sélectionnée pour les prochains jeux olympique, mais qu’il m’y mènerait à une seule condition : que j’arrête la clope. Bien entendu j’y ai consenti sans hésiter ! Fait heureux, parce qu’ici c’est quasiment mission impossible de se dégoter des bonnes cigarettes, j’ai déjà vu des gens fumer des substances bizarres mais … ce n’est pas le problème. Bref, l’entrainement le plus rigoureux de ma vie venait de commencer et déjà la presse commençait à essayer de m’accoster. Je me prêtais volontiers au jeu des interviews, chose que ma mère et mon entraineur (ils couchaient ensemble en secret mais je n’étais pas censée le savoir …), surveillaient d’un œil sévère. J’étais majeure et pourtant j’étais plus maternée qu’une enfant de quatre ans ! Enfin je comprenais toute cette méfiance vis-à-vis des médias. Dès que les premières interviews sont sorties, je fus cataloguée comme la bizarrerie du monde de la gymnastique. Certaines qualifiaient mes propos « d’incohérents », de « totalement dérangés ». J’ai rapidement gagné le titre de Ella-Loufoca Delaney. Mais je m’en fichais, j’étais très heureuse ! Même si parfois l’absence de mon père me déprimait un peu, j’arrivais à passer au-dessus, c’est ce qu’il aurait voulu !
Et puis arriva ce jour fatidique dont vous connaissez déjà la fin. Je m’étais entrainée toute ma vie pour me bousiller. Je me souviens quand lors de ma chute je me suis remémorée mon rêve. Ma dernière pensée entant que vivante fut pour le beurre de cacahuète… Pourquoi donc le beurre de cacahuète ?

Parce qu’il me manque beaucoup.